Balade Nocturne

J'observais le ciel étoilé, allongée, la tête sur les pattes, attendant sans vraiment réfléchir. Le sommeil semblait me fuir comme j'avais une nouvelle fois fuie le camp, peu désireuse de sentir tous ces regards apeurés ou haineux sur moi, hérissant mon poil. Parfois je me demandais si le fantôme d'Aruka n'était pas près de moi. Je me demandais comment elle aurait été avec moi. On m'avait raconté toute son histoire, ma mentor me l'avait raconté en tout cas. Ma mentor décédée, la seule louve qui m'avait aimé et qui m'avait un jour fait ressentir quelque chose. J'avais l'impression d'être dépourvue d'émotion, alors je me nourrissais de celles des autres.
En tout cas, pour le moment, les pensées filaient sans que j'aie le temps de me souvenir d'une seule d'entre elles. Je finis par me lever, observant mes pattes et écoutant simplement les chants nocturnes qui m'entouraient. Je marchais sans but, sans lieu précis et m'arrêtais plus loin pour m'asseoir près d'une petite rivière non loin du camp. Je m'y abreuvais puis observais mon reflet. Celui-ci me renvoya l'image d'une louve aux yeux de sang. Je clignais plusieurs fois des yeux et vis enfin la couleur améthyste teinter mon œil droit. Si même moi je ne me reconnaissais pas, alors où étais-je? Qui étais-je en réalité? Je le savais au fond de moi. Cette réponse enterrée avec tous mes sentiments autres que le plaisir de tuer et de faire saigner. Mais était-ce vraiment du plaisir que je ressentais?
Certains pensaient que les étoiles reflétaient les morts, moi j'avais de multiples opinions mais pas celle-là. Une petite voix froide dans ma tête me s'exclama : Tu es une louve tourmentée. Je chassais alors toutes mes pensées sur Aruka et me concentrais de nouveau sur ma respiration pour ne penser à rien. Je refusais d'être une louve tourmentée. Finalement, je sentis de faibles émotions, très calmes, me parvenir, comme une onde me signalant qu'un être doté de sentiments s'approchait de moi. Je me retournais et observais Fena, la bêta de ma meute, me mettant dans une des positions de soumissions, aplatit sur le ventre, la gorge offerte, la queue basse et accessoirement un peu dans l'eau me déclenchant par ce fait un frisson, comme le voulait le code du loup. Mon regard ne reflétait aucun respect. Non pas parce que je ne la respectais pas. Seulement parce que mon regard ne transmettait jamais rien.
Je me demandais ce qu'elle venait faire ici. M'avait-elle suivi? Je ne la connaissais pas très bien, je ne connaissais personne à vrai dire. Je n'avais pas peur qu'elle vienne m'importuner. Je ne souhaitais pas qu'elle me tienne compagnie. J'aurais voulu ces deux choses si j'avais été normale. Mais je ne voulais rien.